Quelques nouvelles et autres textes de fiction, inédits ou publiés dans des revues littéraires (comme Marginales):
Je m’en vais. Je quitte à jamais cette terre où je suis née. Il faut bien vivre et vivre sera quitter, vivre ne sera qu’aller, vers ce dernier rivage.
Dans ma valise, sagement recroquevillée entre mes jambes, vous ne trouverez rien. Ou presque. <…>
Thèbes n’a pas enterré ses enfants, elle les a emmurés
Je m’appelle Fatou Sheriff et j’ai douze ans.
Je suis morte.
Je suis morte emmurée vivante, auprès du cadavre pourrissant de ma mère.
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Ce que je vois sur leurs visages, c’est différent. Sur ceux des autres, il y a ces petites ombres qui flottent ça et là, rien de bien méchant. Les nuages des soucis quotidiens, les tracasseries habituelles. Chez nous, c’est autre chose. Ce que j’ai l’impression de voir, dans les yeux de mes enfants, c’est la même chose que dans ceux de mon mari: une lumière dégrisée.<…>
Claude,
Jamais je n’aurais pensé, au grand jamais, que je finirais par t’écrire une lettre, une vraie lettre manuscrite, sur ce papier de soie qui, lorsque tu l’auras en main, aura été marqué par deux pliures horizontales, partagé en trois parties à peu près égales où se dérouleront les lignes irrégulières de mon écriture de cochon. <…>
La renarde ! rugit ma mère un matin en m’apercevant. Encore mal réveillée, j’étais en train de me diriger vers la salle de bain pour la toilette matinale. Peu habituée à ce genre d’expression dans la bouche maternelle, plus apte aux marmonnements pieux et aux recommandations frileuses, et plutôt parcimonieuse en exclamations, je sursautai et lui jetai un regard où devait se lire mon ahurissement. Mais ma mère avait déjà détourné les yeux, et il me semblât que quelque chose dans son mouvement trahissait une gêne étrange. <…>
L’odeur, d’abord. Il la flaire à partir de la seconde marche de la troisième volée d’escalier. Quand il arrive sur le palier du deuxième, elle est devenue franchement agressive. Il porte une main à son nez, un réflexe pour se protéger, mais l’odeur persiste. Il remonte son écharpe et couvre le bas de son visage. Il sonne. Un déclenchement automatique résonne dans la cage d’escalier vide et la porte s’entrouvre. Il la pousse, fait un pas à l’intérieur de l’appartement, s’arrête net et lâche le sac. <…>
Le jour baisse. La fenêtre laisse entrer une lumière parcimonieuse, qui baigne la pièce d’une clarté grise, incertaine. Un bureau, un ordinateur, un divan à deux places et une table basse encombrée de journaux occupent les lieux. Peu à peu, la nuit s’y insinue et estompe les formes. Seule la fluorescence bleutée d’un écran troue encore la pénombre. <…>
Le rêve d’un chien fou égaré sous la pluie
Depuis plus de cent septante jours, il n’a pas cessé de pleuvoir sur le pays. Les ventes de parapluies tricolores ont décuplé. <…>
Il urine. Habillé d’un pardessus beige, le regard perdu devant lui, je pense d’abord qu’il attend quelqu’un ou qu’il est en train de reprendre son souffle, debout sur les pavés disjoints de la rue. Mais en arrivant à sa hauteur, j’aperçois le jet qui dégouline et les taches qui s’agrandissent sur son pantalon et les pans de sa veste. Je détourne les yeux, dans un mouvement incontrôlé de gêne et de pudeur. Le vieux a perçu quelque chose, il me suit du regard et quand je me retourne, avant de tourner le coin, il est toujours là au milieu de la rue, qui se pisse dessus en me regardant m’éloigner. <…>
L’enseigne se balance mollement dans la brise nocturne et le murmure discret des palmes froissées lui fait écho. L’inscription, peinte à la main, semble vouloir se défiler dans une oscillation continue. Quelques fractions de seconde suffisent pourtant pour que le nom du restaurant se détache, dans un faisceau de lumière. Une silhouette longiligne, vague réminiscence de l’homme en marche, saisi dans la fragile verticalité de son pas en suspens, se fond dans l’ombre que jette le mur sur le terrain. Lance à la main, le gardien Masaï veille sur son troupeau de carcasses, stoppées net. Il fait les cent pas, silencieux et patient, peut‑être secrètement aux aguets. <…>
A la suite de l’annonce de la fermeture de l’espace aérien européen pour une durée indéterminée, les choses se précipitèrent. <…>
Le premier jour, Dieu s’est éteint. <…>
Il fallait qu’il trouve cette première phrase. Rapidement. Ou ça risquait de mal se terminer. <…>
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